En primeur, Histoire et Généalogie
De nos jours, beaucoup de personnes s’intéressent à la généalogie. Même passionnément. Au point que des non-initiés, plutôt indifférents, s’interrogent sur les raisons qui poussent quelqu’un à poser un regard sur le passé. D’aucuns iront jusqu’à prétendre que seul l’avenir les intéresse. Or, la recherche généalogique comporte de nombreux bienfaits. Je vais vous faire part de mon expérience de plus de 30 années à cueillir des données et à produire des documents qui renferment plusieurs centaines de pages.
Aux premiers temps de mes recherches, j’ai écrit ceci :
« Faire de la généalogie, c’est plonger dans un monde où se côtoient morts et vivants avec des allers-retours dans un univers où se compressent le temps et l’espace. La recherche se concentre sur une cueillette de mémoire, autant celle qui est consignée par écrit que celle qui est portée par les aînés désireux de la livrer au profit de ceux qui cherchent un sens dans la continuité. En cours de route, on se retrouve au beau milieu d’une famille très étendue tellement les ancêtres et les parents deviennent familiers. »
Ceci dit, l’intérêt pour ma famille repose a priori sur l’importance que j’accorde à l’histoire. Et quoi de plus motivant pour l’apprécier que de parcourir celle de ses ancêtres directs! Tout compte fait, remonter dans ma lignée m’a donné l’occasion, et encore aujourd’hui, de reconstituer le contexte historique particulier dans lequel ils ont vécu. Ce faisant, non seulement j’ai l’impression d’honorer les miens et leurs accomplissements, mais également de redorer l’image des Canadiens français et des Québécois qui ont bâti ce pays et l’Amérique. On ne le dira jamais assez, une meilleure connaissance de son histoire permet à un peuple de comprendre qui il est, et d’entrevoir le futur. Nous avons malheureusement occulté des pans entiers de notre passé alors que nos ancêtres avaient l’étoffe de pionniers courageux et souvent ingénieux.
Mon aventure a commencé lors d’une fête de ma famille élargie, un jour du 8 juillet 1989. Une de mes tantes m’a alors montré une rare photo de ses grands-parents paternels et de leurs enfants. Quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre que celle-ci avait été prise à Lowell au Massachusetts vers 1900, chez un frère de mon grand-père. Je savais, comme bien des Québécois, que nous avions des cousins des États, mais pas que la famille de mon propre grand-père avait passé plus de dix ans à Fall River. Cette autre ville était connue pour ses gigantesques usines de coton (les factries) et pour abriter une kyrielle de travailleurs immigrants, dont une importante communauté de Canadiens français regroupés dans ce qu’on appelait les « Petits Canada ». Outré par ce vide dans la mémoire familiale, alors qu’on affiche Je me souviens sur nos plaques d’immatriculation, ce fut la bougie d’allumage de mon aventure.
S’en sont suivi des voyages en France (Périgord), en Floride, au Rhode Island, au Massachusetts, au Michigan et dans une grande partie du Québec afin de rencontrer mes oncles et tantes, ainsi que la parenté de mon père disséminée ici et aux États-Unis. Par chance, j’ai entrepris cette quête à partir de la quarantaine. Aujourd’hui disparus, plusieurs d’entre eux ont été en mesure de me fournir des photos, des renseignements et des témoignages des plus précieux.
Tout bien considéré, je ressemble sans doute à ceux et celles qui, en prenant de l’âge, développent un intérêt pour leur famille. Au-delà du désir de laisser une trace se superpose la conscience plus aiguë de notre finitude et du désir de s’inscrire dans une continuité avec ceux qui nous ont précédés et qui vont nous survivre. Au fond, on se rend compte qu’on ne constitue qu’un chaînon de sa lignée. L’univers a existé avant nous, et nos ancêtres, même éloignés, ont façonné cette culture familiale qui nous a fabriqués. En fait, faire de la généalogie rend plus humble. Elle inspire le respect et la reconnaissance.
Au-delà du devoir de mémoire qui permet de reconstituer son histoire et de la léguer à ses descendants, une foule d’autres avantages collatéraux deviennent évidents. Pour ma part, il s’agit d’un passe-temps formidable et d’un prétexte stimulant pour voyager. Il permet du même coup d’entretenir un réseau social inattendu. Avec ma conjointe, j’ai fait la connaissance de descendants de ma famille aux États-Unis, visité des musées et des bibliothèques spécialisées, fouillé dans des archives et collaboré avec divers chercheurs. À l’instar du métier de détective, j’ai éprouvé des moments d’illumination lorsque, à force de recoupements, des morceaux du casse-tête se mettaient soudainement en place. J’ai entretenu des correspondances avec des archivistes et généalogistes aux États-Unis, à Vancouver, Matane et Rimouski, et des contacts aussi loin qu’à Alger pour savoir ce qui était advenu d’un frère et d’une sœur de mon grand-père missionnaires enterrés dans ce continent.
J’ai lu et écrit sur l’histoire trop méconnue des Franco-Américains et des autres qui se sont exilés dans l’Ouest canadien et américain. J’ai constaté à quel point des membres de ma famille ont voyagé et se sont illustrés dans ces pays. J’ai renoué avec mes cousins et cousines qui m’ont fourni des données complémentaires, dont des photos de famille uniques que j’ai eu le plaisir de partager à l’intérieur des publications que je leur ai livrées en ligne (des nuages) ou sur papier. Enfin, ma démarche m’a rendu familier avec mes lointains ancêtres au point d’avoir le sentiment de faire partie de leur univers intime. Ce qui m’a toujours attristé, au fil de mes rencontres, c’est d’apprendre que des gens jettent les documents de leur famille, que des êtres sombrent dans l’anonymat le plus total parce que plus personne n’arrive à les identifier sur des photos anciennes, et que des individus affichent un désintérêt pour le passé de leur famille. Mais patience, un jour ou l’autre ces derniers se réjouiront de savoir que d’autres s’en sont occupés. Enfin, les enseignants devraient encourager leurs élèves à s’intéresser au vécu de leurs grands-parents avant qu’ils ne disparaissent. Gardons en tête le célèbre proverbe d’Amadou Hampâté Bâ : « En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. »
Pierre Langis